Les femmes et le saxophone : des voix émergentes qui façonnent l’avenir de l’instrument

À propos de l'auteur : So Wai

So Wai, professeure de saxophone à l'Institut de Musique de Paris, originaire de Hong Kong, poursuit sa formation au Conservatoire de Cergy après une Licence en Arts et Musique.

L’histoire du saxophone regorge de noms légendaires, Marcel Mule, Stan Getz, Charlie Parker, et tous ont un point commun : ce sont des hommes.

De la scène classique aux clubs de jazz, le récit de l’instrument a longtemps été dominé par des voix masculines.

Depuis 1858, date à laquelle Adolphe Sax devient le premier professeur de saxophone au Conservatoire de Paris, l’enseignement et la pratique du saxophone demeurent largement dirigés par des hommes.

Plus de 160 ans plus tard, les choses ont peu évolué à l’échelle institutionnelle.

En tant que saxophoniste étudiant à Paris, j’ai moi-même constaté ce déséquilibre : dans les vingt conservatoires publics de la ville, incluant les CRR et les CMA, plus de 80 % des professeurs de saxophone sont des hommes.

Au sein même du prestigieux Conservatoire de Paris, la chaire de saxophone n’a jamais été occupée par une femme.

Cela soulève une question essentielle : où sont les femmes saxophonistes aujourd’hui, et comment façonnent-elles l’avenir de l’instrument ?

Cet article explore cette question à travers trois volets.

Nous commencerons par revisiter l’héritage souvent méconnu d’Elise Hall, pionnière qui, par ses commandes, notamment auprès de Debussy, a permis au saxophone de se faire une place dans le répertoire classique.

Nous poursuivrons avec un regard sur la scène actuelle, en mettant en lumière une série de concerts internationaux en 2024 rendant hommage à Hall et célébrant le travail des saxophonistes femmes à travers le monde.

Enfin, nous réfléchirons aux défis persistants auxquels ces musiciennes sont confrontées et à la manière dont elles ouvrent la voie à un avenir plus inclusif.

Elise Hall

Crédit photo : « Elise Hall » par Eugène Pirou. Licence Domaine public.

Elise Hall et la Rapsodie de Debussy : une commande historique

Elise Hall (1853–1924), saxophoniste basée à Boston et mécène des arts, fut l’une des premières figures féminines majeures dans l’histoire du saxophone.

Née à Paris et installée aux États-Unis, Hall commence l’apprentissage du saxophone relativement tard, à la suite d’une perte auditive.

Elle devient pourtant une fervente défenseure de l’instrument et utilise sa fortune personnelle pour commander plus d’une vingtaine d’œuvres à des compositeurs français de renom, parmi lesquels Vincent d’Indy, André Caplet, Léon Moreau, et bien sûr Claude Debussy.

En 1901, Hall commande à Debussy une pièce pour saxophone et orchestre, une demande audacieuse à une époque où l’instrument était encore principalement associé aux fanfares militaires plutôt qu’aux salles de concert.

Debussy, initialement réticent et sceptique quant à la place du saxophone dans la musique classique, accepte néanmoins, en partie pour des raisons financières.

Ce n’est qu’en 1908 qu’il remet à Hall une réduction piano de la Rapsodie pour orchestre et saxophone. Malheureusement, Debussy ne l’orchestrera jamais.

Après sa mort en 1918, c’est Jean Roger-Ducasse, son ami et collègue, qui en achève l’orchestration. La création mondiale a lieu le 14 mai 1919 à la Salle Gaveau à Paris, interprétée par le saxophoniste Pierre Mayeur sous la direction d’André Caplet.

Ironiquement, Elise Hall, dont l’ouïe était gravement diminuée, n’assiste pas au concert.

L’un des témoignages les plus éloquents de cette collaboration reste la dédicace manuscrite de Debussy : « À Madame E. Hall, avec l’hommage respectueux de Claude Debussy (1901–1908). » Aujourd’hui, la Rapsodie est un pilier du répertoire classique pour saxophone, incarnant à la fois la voix unique de Debussy et l’impact durable de la vision d’Elise Hall, une femme qui, par son mécénat et sa détermination, a ouvert au saxophone les portes de la musique savante.

Femme jouant du saxophone

Les saxophonistes femmes aujourd’hui : entre hommage et renouveau

En 2024, le saxophoniste Français Nicolas Prost a organisé une série de concerts internationaux dédiée aux femmes dans le monde du saxophone, avec des représentations à travers l’Europe et les États-Unis, dans des villes telles que Paris, Bordeaux ou encore en Sicile.

Ce projet rendait hommage à Elise Hall, l’une des premières saxophonistes de renom et une figure majeure dans la commande d’œuvres pour saxophone au tournant du XXe siècle.

Dans le cadre de cette initiative, une nouvelle œuvre intitulée Elise Hall – We Thank You, signée par la compositrice Katia Beaugeais, a été commandée et a été créée en première mondiale en novembre 2024 à Paris.

J’ai eu le privilège de participer à ce concert. Ce fut un moment fort, partagé avec d’autres saxophonistes femmes, pour célébrer l’héritage de Hall à travers la musique.

L’un des instants les plus émouvants de la soirée a été l’interprétation d’une pièce en ensemble par plus de vingt jeunes filles saxophonistes, dirigées par une cheffe d’orchestre, une image rare et profondément inspirante dans notre milieu.

Pour moi, ce concert n’était pas simplement une performance, mais une véritable occasion de réfléchir aux obstacles que les femmes rencontrent encore dans ce domaine, tout en me sentant pleinement engagée dans un mouvement de changement en plein essor.

L’événement visait à mettre en lumière le déséquilibre de genre qui persiste dans le monde du saxophone, en particulier dans l’enseignement de la musique classique et au sein des institutions professionnelles.

Bien que le nombre de femmes saxophonistes n’ait jamais été aussi élevé, le domaine reste encore largement dominé par les hommes.

Des initiatives comme celle-ci permettent non seulement de faire évoluer les mentalités, mais surtout d’inspirer les futures générations de musiciennes à prendre leur place dans l’histoire du saxophone.

Belle femme jouant du saxophone

Conclusion : vers un avenir plus inclusif pour le saxophone

L’histoire des femmes saxophonistes est faite de persévérance, de passion et d’une révolution discrète mais essentielle.

De l’engagement d’Elise Hall au début du XXe siècle aux concerts entièrement féminins et créations contemporaines d’aujourd’hui, les femmes jouent depuis longtemps un rôle crucial, quoique souvent invisibilisé, dans l’évolution artistique de l’instrument.

Les défis sont encore nombreux : déséquilibres dans les conservatoires, manque de représentation dans les jurys de concours, sous-représentation dans les grands ensembles.

Mais le vent tourne. Grâce aux efforts conjoints des interprètes, compositrices et pédagogues actuelles, un nouveau récit prend forme, plus inclusif, plus riche.

En tant qu’interprète de la création 2024 en hommage à Elise Hall, j’ai ressenti combien la musique pouvait être un levier de mémoire, d’engagement et de transformation.

Chaque concert, chaque nouvelle œuvre, chaque jeune fille qui choisit aujourd’hui le saxophone participe à ce changement.

L’avenir du saxophone se construit avec ces voix féminines qui s’élèvent, et leur présence ne fait pas que compléter l’histoire : elle en redessine profondément les contours.

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